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S comme... Un Symbole omniprésent : Evangéline

       Tant en Acadie du Nord (les Provinces Maritimes du Canada) qu'en Acadie du Sud (Louisiane et états proches), un nom apparaît partout : Evangéline... Ce prénom si pieux est celui de l'héroïne d'un long poème épique1 publié en anglais en 1847 aux Etats-Unis sous le titre "Evangeline, A Tale of Acadie" par le poète Henry W. Longfellow.

 

       Il raconte de façon dramatique la douleur de la déportation des Acadiens, à travers l'histoire d'une jeune fille de Grand-Pré, Evangéline, qui, sur le point de se marier en 1755, se voit brutalement séparée de son promis, Gabriel, embarqué sur un autre bateau. Elle va passer sa vie à le rechercher, tout en se mettant au service des malades avec les Soeurs de la Miséricorde. Et enfin, après une longue odyssée, elle va le retrouver, vieilli, malade et moribond, à Philadelphie, où il va expirer dans ses bras...

 

Samuel Richards- Evangéline retrouvant son fiance - ca 1889

 

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       (Notons au passage que, parmi tous les personnages représentatifs mais fictifs de cette oeuvre, se trouve évoqué un personnage réel, René LEBLANC le notaire, frère de mon vieux Jacques mort sur son rivage de Grand-Pré au moment du Grand Dérangement... René le notaire, 71 ans au moment de la déportation, avait eu une vingtaine d'enfants - avec trois femmes différentes - et environ 150 petits-enfants; il mourut épuisé et désespéré le 6 février 1758 à Philadelphie où il tentait de retrouver certains de ses enfants perdus... )

 

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       Ce poème très sentimental aura un immense succès aux Etats-Unis, et, très librement traduit en français par Pamphile LE MAY en 1865, va cristalliser dans l'imaginaire acadien le souvenir du Grand Dérangement et en symboliser les souffrances. Il marquera le début de ce qu'on appellera la "Renaissance acadienne", suivie, à partir de 1881, par les Conventions Acadiennes, lors desquelles furent décidés la date d'une "fête nationale acadienne" (le 15 août), le choix d'un drapeau acadien, etc...

 

 

       Dès lors, on retrouvera Evangéline un peu partout. Ainsi l'un des principaux journaux acadiens, créé en 1887 (et publié pendant près d'un siècle), s'appellera bien sûr L'Evangéline.

 

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       Au début du 20° siècle, le cinéma ne fut pas en reste, et il y aura plusieurs versions de l'histoire des amants séparés par un destin cruel.

       - Dès 1911, aux Etats-Unis, Hobart BOSWORTH réalise un film muet dans lequel il interprète lui-même Gabriel.

      

       - Puis un film aujourd'hui perdu est tourné par les Canadiens à Grand-Pré et dans la vallée d'Annapolis (ex Port-Royal) en 1913.

 

       -En 1919, à Hollywood, le cinéaste Raoul Walsh tourne un Evangéline avec sa femme dans le rôle-titre (film également perdu).

       -En 1929, la star mexicaine Dolores del Rio interprète la malheureuse fiancée acadienne à son tour dans un film tourné en Louisiane.
        Elle posera même pour une statue d'Evangéline qui sera offerte par la production à la ville de Saint Martinville, où se trouve le fameux chêne sous lequel Evangéline et Gabriel se sont rencontrés - ce qui par ailleurs est totalement incohérent, puisqu'ils s'étaient connus à Grand-Pré, et ils ne se sont retrouvés que dans l'hôpital où Gabriel agonisait... Mais les mythes ont la peau dure, et à Saint Martinville trône aujourd'hui le 3° chêne du nom, flanqué de sa pancarte explicative :


 


 

       Ce chêne est bien implanté dans l'imaginaire local, puisqu'on le retrouve jusque dans les magnifiques romans de James Lee Burke, surtout connu en France pour avoir écrit "Dans la brume électrique avec les morts confédérés" qui donna lieu au film de Tavernier. Mais Burke a écrit bien d'autres romans noirs à souhait, souvent autour de son héros cadien Dave Robicheaux. On lit par exemple dans "New Iberia Blues":

       "Je sortis du bar en titubant et continuai à marcher tête nue sous la pluie jusqu'à la place et à l'immense chêne vert qui s'étendait au -dessus du Bayou Teche, là où certains prétendent avoir vu Evangéline attendre son amant. Le bayou était haut, les oreilles d'éléphant flottaient comme un tapis vert jusqu'au bord des rives. Au-dessus de ma tête, les énormes branches protectrices du chêne, couvertes d'écailles de lichen aussi rèche q'une peau de dragon, semblaient vouloir atteindre les nuages, les étoiles et la pluie, comme un conduit menant dans le passé et dans un espace noir et infini.

C'est sous cet arbre que, à l'âge de dix-neuf ans, j'avais pour la première fois embrassé Bootsie Mouton." 2


 

(comment ça, ça se voit que je suis fan de Burke? ;> - et non, ils ne sont pas tous là...-)

 

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       Parmi toutes les évocations littéraires, théâtrales, musicales, etc, d'Evangéline, impossible d'oublier la douce et triste chanson créée par Michel CONTE en 1971 et souvent reprise par les artistes acadiens :

 

"Il existe encore aujourd’hui/Des gens qui vivent dans ton pays/Et qui de ton nom se souviennent/Car l’océan parle de toi/Les vents du sud portent ta voix/De la forêt jusqu’à la plaine/Ton nom c’est plus que l’Acadie/Plus que l’espoir d’une patrie/Ton nom dépasse les frontières/Ton nom c’est le nom de tous ceux/Qui malgré qu’ils soient malheureux/Croient en l’amour et qui espèrent / Évangéline, Évangéline,/Évangéline, Évangéline..."


 

Evangéline

 

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       Et en 1994, quand, sympathisant avec un lointain cousin à Shédiac au Nouveau Brunswick, on a prévu de se revoir quelques jours plus tard à 500 kms de là à la Baie Sainte Marie a l'ouest de la Nouvelle-Ecosse, c'est dans les coulisses du spectacle musical Evangéline donné par la troupe Les Araignées du Boui-boui dont il faisait partie qu'il m'a donné rendez-vous... Quand je vous dis qu'Evangéline est partout...

 

une photo ratée, mais un joli souvenir (photo personnelle est-il besoin de le préciser? ;>)

 

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       Dans la toponymie, aussi, on la retrouve. Au cours du 19° siècle, des Acadiens purent peu à peu se réinstaller dans une partie de l'Ile du Prince Edouard (anciennement Ile St Jean). En 1960 y fut créée l'école Evangéline, une école publique francophone, et peu à peu toute cette région a pris le nom d'Evangéline.

       Il existe également une division administrative en Louisiane appelée Evangeline Parish , c'est l'une des 22 paroisses de la région officielle de l'Acadiane.

 

 

 

       C'est aussi le nom d'un village du Nouveau Brunswick, d'une plage en Nouvelle Ecosse, etc...

 

Evangeline Beach - Grand-Pré - marée haute, marée basse (photos personnelles)

 

 

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       Et bien sûr, on ne compte plus les "Evangeline café, Pizza, Restaurant, Brunch, etc etc", un peu partout...

 

 

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       Bref, le mélodrame de Longfellow fait toujours recette. Il y a heureusement des artistes pour ruer dans les brancards (après tout, c'est leur boulot !), et c'est ainsi que la pétillante Angèle ARSENAULT3 - que j'avais eu la chance de rencontrer à Saint-Malo en 1990 - née précisément dans la Région Evangéline (!) de l'île du Prince Edouard - écrivit une Évangéline Acadian Queen décoiffante et bien guillerette, pas dupe de la récupération commerciale du mythe :

 

Evangeline Acadian Queen

 

"Je m'en vais pour investir/Dans les compagnies de l'avenir/Afin que l'nom d'Évangéline/Soit connu en câline/Évangéline Fried clams /Évangéline Salon Bar/Évangéline Sexy Ladies wear /Évangéline Comfortable Running Shoes/Évangéline Automobile Springs/ Évangéline Regional High School/Évangéline Savings Mortgage and Loans/Évangéline The only French Newspaper in New Brunswick /Évangéline Évangéline Acadian Queen"...

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Notes :

1) Il est écrit en hexamètres dactyliques, comme les textes d'Homère

2) New Iberia Blues - ed. Rivages Noir - pp281/282

3) Angèle Arsenault est décédée en 2014.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tag(s) : #Ancêtres Acadiens, #Challenge AZ 2021
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