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#52Ancestors 3 - Photo favorite - Henriette MAGAUD (1890-1976)

      Je regarde cette modeste photo aux couleurs pâlissantes prise à la fin des années 60. Une silhouette frêle et pourtant énergique, en train de nourrir poules et oies dans une basse-cour... Ma très chère arrière-grand-mère Henriette MAGAUD, qui pour tous ses petits-enfants et arrières-petits-enfants, était "la grand-mère SAUPIQUE", du nom de son mari, ou encore plus affectueusement "Mémère Pique".

 

       Je regarde cette modeste photo, et aussitôt remontent en moi des moments heureux de l'enfance... et je me souviens...

 

       Je me souviens que les dimanches passés à Songy chez Mémère Pique étaient jours de fête... Déjà le voyage pour y aller, dans la vieille 201 de mon père, était comme une petite aventure, et surtout, l'attente du moment magique où nous devions passer sous le petit pont de chemin de fer, et où la blague c'était de tous baisser la tête dans la voiture pour pouvoir passer sous le pont... Rigolade assurée à chaque fois, on ne s'en lassait jamais...

 

       Je me souviens que si on venait pour la journée, on avait prévenu mémère Pique par une lettre, et elle avait tué l'une de ses poules ou l'un de ses lapins, pour nous préparer un bon repas...

 

       Je me souviens l'avoir vue tuer un lapin d'un coup sec puis l'accrocher à un arbre pour le dépouiller d'un geste assuré...

 

      Je me souviens que sa maison était minuscule, juste composée d'une pièce à tout faire, et d'une petite chambre derrière. L'évier était dans un placard, et au centre de la pièce trônait la grande table couverte d'une toile cirée, où nous nous installions pour manger, ou pour prendre un café et bavarder pendant des heures...

 

      Je me souviens de la vieille cuisinière à charbon qui ronflait contre un mur, servant de chauffage, de four, de plaque à cuire ou à chauffer l'eau, et que Mémère avait la peau si tannée et était si dure au mal qu'elle retirait ses plaques de cuisinière brûlantes à main nue quand elle voulait la recharger en charbon, au lieu d'utiliser le crochet en fer...

 

      Je me souviens qu'elle parlait beaucoup des BEGIN, qui dans mon enfance me semblaient si mystérieux car je ne les voyais jamais (le petit garçon de la photo est sans doute un petit BEGIN, d'ailleurs), alors que c'étaient tout simplement des fermiers voisins...

 

       Je me souviens que ma mère m'a raconté que pendant la guerre, ma grand-mère allait quelquefois de Châlons à Songy (24 kms) en vélo avec ses petits dans la remorque pour rendre visite à Mémère Pique, et qu'ils trouvaient toujours à manger en arrivant et repartaient toujours avec quelques provisions...

 

      Je me souviens qu'il y avait au mur du fond de la pièce à tout faire un tableau sur lequel étaient épinglés des documents bizarres : la photo d'un bébé mort, fils de ma grand-tante Guiguitte, une carte postale militaire pré-imprimée, envoyée par mon arrière-grand-père pendant la guerre 14, où le soldat pouvait juste cocher des cases, car la censure militaire veillait à ne pas laisser diffuser de renseignements sur les mouvements de troupes...

 

       Je ne me souviens pas des autres documents, et je ne sais pas ce que sont devenus tous ces trésors de ma Mèmère Pique... Je me désole de ne pas les avoir davantage regardés, questionnés, mémorisés...

 

    Je me souviens qu'un jour, le hasard de visites impromptues nous fit retrouver chez elle la famille de l'aîné de mes oncles, et se sont donc trouvées dans sa minuscule maison 5 générations en même temps, séparées les unes des autres par moins de 20 ans : elle, la frêle matriarche, sa fille aînée, le fils aîné de celle-ci, la fille aînée de celui-ci et le bébé de celle-ci... Malheureusement, personne n'avait d'appareil photo sous la main pour immortaliser le moment.

 

         Je me souviens que lors d'un de ces dimanches passés à Songy, j'ai vu naître un veau dans une ferme voisine...

 

        Je me souviens qu'au début des années 70, papa venait d'acheter une petite caméra Super 8, et j'ai voulu filmer Mémère Pique près de la Halte du passage à niveau... et elle posait, demandait si la photo était enfin prise, ne comprenait pas que c'était un film...

 

       Je me souviens que vers la fin de sa vie, elle perdait la tête, s'embrouillait dans ses médicaments, en prenait trop ou pas assez... Elle ne nous reconnaissait plus toujours, ou croyait reconnaître en l'un d'entre nous une figure de sa jeunesse... On disait qu'elle devenait gâteuse... On ne connaissait pas encore le nom d'Alzheimer...

 

      Je me souviens que ma grand-mère avait fini par la prendre chez elle car elle ne pouvait plus vivre seule, mais elle était dans un autre monde. Tous les soirs, elle allait au bout du chemin de cette maison du Vaucluse et, se croyant toujours à Songy dans la Marne, guettait le retour du troupeau de moutons mené par son mari, le berger du village, mort depuis près de 40 ans... Et elle faisait tant de bêtises plus ou moins dangereuses que ma grand mère dût, la mort dans l'âme, la mettre à l'hospice de Châlons...

 

      Je me souviens d'une visite d'épouvante dans cet hospice, mélange de Vol au dessus d'un nid de coucous et de mouroir...

 

        Je me souviens qu'elle est morte à 85 ans le 26 février 1976, en Champagne, tandis que mon grand-père paternel agonisait dans un hôpital de Belle-Isle-en-Mer, mourant 3 jours plus tard, le 29 février...

 

       Je me souviens qu'il nous fut donc impossible, à mes parents et moi, d'aller assister à son enterrement...

 

 

*****

 

       Elle était née le 8 mai 1890 à 11h du matin chez ses parents, Jean Maurice Magaud, 28 ans, perruquier auvergnat, et Irma Pauline Julia Lavidière dit Lacointat, 23 ans, jeune champenoise, à La Chaussée sur Marne, village de 627 habitants. Ses grands-parents maternels, Alfred LAVIDIèRE et Zoélie PARJOIE, tous deux manouvriers, habitaient avec eux.

 

       Avec ses 4 frères et soeurs, Henriette passa son enfance à La Chaussée, d'abord Grand Rue de Coulmiers. Quand elle avait 13 ans, en 1903, un énorme incendie détruisit toute une partie du village - ferme, maisons, granges - sur une surface d'environ 600m de long sur 100m de large... Ce dut être un gros choc pour les habitants de la commune, et au recensement suivant, la famille MAGAUD était passée côté Mutigny : son logement précédent avait-il disparu dans l'incendie?

 

Le Petit Troyen - 5 septembre 1903 - Retronews

 

 

        Quelques années plus tard, Henriette partit travailler comme bonne à tout faire chez un jeune couple d'Ablancourt, un village voisin.

 

        Quand et dans quelles circonstances rencontra-t-elle Charles SAUPIQUE, qu'elle allait épouser le samedi 18 novembre 1911 à Saint-Germain-la-Ville, village d'origine de Charles, à quelques kms de La Chaussée ? A un bal de village, j'imagine... Elle avait 21 ans, lui 23. Charles avait été libéré des obligations militaires le 24 septembre, après deux ans de service. J'imagine les lettres échangées pendant ces longs mois d'attente avant de pouvoir enfin se marier... Charles, surnommé Charlot, était berger, fils, petit-fils1, neveu2, et frère de bergers... Le couple s'installa à Saint Germain, auprès de la famille SAUPIQUE.

 

       11 mois après le mariage naquit ma grand-mère Charlotte, mais le bonheur familial paisible n'allait pas durer très longtemps : le 4 août 1914, Charlot, âgé de 25 ans, dut quitter sa chère Henriette, 24 ans, la petite Charlotte, 22 mois, et ses moutons pour se plonger dans l'enfer de la guerre.

 

*****

 

       Un an plus tard, la nuit du 24 au 25 septembre 1915, il se préparait à l'offensive de la deuxième bataille de Champagne.

       Cela faisait trois jours et trois nuits que l'armée française "préparait le terrain" sur 25 kms de front, tirant 1 000 000 d'obus de tous calibres!

 

       "Voilà trois jours et trois nuits que gronde et roule le tonnerre de nos pièces, trois jours et trois nuits que sans interruption nos canons crachent des éclairs et des éclairs, des obus, des obus, des obus. Mais les gueules de feu semblent essoufflées. Est-ce à nous maintenant ? Oui, c’est à nous : dans trois heures nous partons. Les mitrailleuses, les fils de fer seront-ils détruits ? "

(Jacques Arnoux, Paroles d’un revenant, 116e RI, 1923)

 

       Cette nuit-là, tout comme des dizaines de milliers d'autres, Blaise Cendrars n'était pas loin3, Guillaume Apollinaire à peine à quelques kilomètres, tous dans la même attente effrayante. Le poète écrivit à Lou :

 

Nuit violente et violette et sombre et pleine d'or par moments  
Nuits des hommes seulement 

 
Nuit du 24 septembre

Demain l'assaut

Nuit violente ô nuit dont l'épouvantable cri profond devenait plus intense de minute en minute

Nuit qui criait comme une femme qui accouche

Nuit des hommes seulement 

 

Et au matin du 25 :

 

        "Presque au coude à coude, 120 000 hommes se haussèrent sous le ciel. Pour s’arracher à la boue de la tranchée, chacun d’eux avait dû vaincre, plus écrasant que sa propre pesanteur, que la fatigue et le poids du sac et des armes, le faix d’une inhumaine et formidable solitude." 

(Louis Guiral, Je  les grignote, Champagne 14-15)

 

       Charlot fut blessé à la cuisse gauche ce 25 septembre, près de Ripont, l'un des 5 villages martyrs qui furent totalement rayés de la carte pendant cette guerre... Blessé, mais au moins, pas tué, comme tant d'autres hélas... A Ripont, à 58 kms de St Germain où vivaient sa femme et sa fille dans l'interminable attente... 58kms... Si près et si loin...

 

       Quand et comment Henriette a-t-elle appris que son mari était blessé? Où a-t-il été évacué? A-t-elle pu aller le voir?... Questions sans réponse...

 

 

 

       Tant de souffrances - près de 28 000 morts en quinze jours, 100 000 blessés et 54 000 prisonniers - pour ne déplacer le front que de 4 kms maximum... Oh Henriette, quelle connerie, la guerre!...

 

schéma Geneanet


*****

       Charlot fut enfin démobilisé le 13 juillet 1919 et regagna Saint-Germain-la-Ville, où je suppose qu'était restée Henriette avec sa fille pendant la guerre. Il avait maintenant 30 ans, Henriette 29 et sa petite Charlotte, qui ne l'avait guère connu, 6 ans et demi. Le couple partit rapidement s'installer à Songy, puisque 9 mois après le retour du soldat, une petite Marguerite naissait là. Dès lors, Mémère Pique et Charlot ne devaient plus quitter Songy que pour gagner les hôpitaux où ils mourraient, lui, de cancer, à Reims, en 1936, et elle de vieillesse et d'usure, à Châlons en 1976... Henriette avait 46 ans à la mort de son Charlot, elle ne refit jamais sa vie.

 

*****

 

Le 8 août 2011, le journal L'Union publiait une carte postale

avec ce titre et ce commentaire :

 

"La Tonte des Moutons à SONGY :

 

       Nous sommes autour de 1910. À l'époque, quatre ou cinq fermes dans le village procédaient à l'élevage des moutons. La tonte avait généralement lieu en mai et se faisait à Songy en famille. Personne n'avait les moyens de faire appel au personnel. Les brebis étaient tout d'abord conduites au bord d'un cours d'eau pour y être lavées. Cela se faisait souvent la veille. Puis toute la famille était mobilisée pour tondre. Ici, on note que l'outil utilisé est un serre, la tondeuse à main n'est pas encore dans les fermes du village. Long de 30 cm, cet outil en pointe fonctionnait un peu comme un sécateur.

       Le reste de l'année, c'est un berger, Charles Saupique, qui emmenait dans les prés aux alentours les moutons pour les nourrir. Une pratique qui s'est perpétuée jusqu'aux années cinquante."

 

       J'ai été bien sûr surprise et émue par cette évocation de mon arrière-grand-père. Toutefois, il y a une erreur sur la date dans l'article : d'une part, en 1910, Charlot faisait son service militaire au bataillon de Toul, et d'autre part, il ne s'est installé à Songy que fin 1919 ou début 1920. J'aimerais savoir quelle est la source de l'auteur de l'article. Malheureusement, je ne trouve plus l'article en ligne maintenant. Ca aurait peut-être valu le coup de lui écrire pour en savoir plus? :) La recherche en généalogie n'est jamais terminée :D

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Notes :

1) J'ai raconté son histoire ici

2) et celle d'un de ses oncles ici

3) il perdra sa main droite dans les combats du 28 septembre, et racontera son expérience de cette guerre dans La Main Coupée

 

Tag(s) : #52 ancêtres en 52 semaines 2022, #52Ancestors, #Ancêtres Marnais, #Branche maternelle
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