Marie Louise HERBAULT 1ère partie
(Pour en savoir plus, cliquez ici : 2ème partie : la carrière de Marie Louise HERBAULT, sage-femme au XVIII° siècle)
Je ne peux pas dire que ce soit MA trouvaille préférée (j'ai toujours du mal avec les choix radicaux), mais c'est certainement l'une de celles que j'ai le plus appréciées, à la fois pour elle-même et parce qu'elle a été tout à fait inattendue.
En cherchant tous les enfants de mes ancêtres Marie Louise ROCHER (sosa 205) et Pierre BEAUCHOT (S 204), j'ai découvert l'acte de baptême de leur fils Pierre "Denis", le 9 octobre 1787, au Baizil, un village de Champagne.
Le petit Denis a eu une naissance difficile, au point d'être ondoyé par précaution par la sage-femme qui aidait à le mettre au monde. Deux femmes du village, présentes à l'accouchement, ont confirmé que cette intervention avait été nécessaire car "ledit enfant ne faisait que quelques marques de vie". En l'absence du curé du Baizil, Don MANESSE, un religieux de l'abbaye de la Charmoye a suppléé quelques heures plus tard aux cérémonies du baptême, et finalement, le bébé a survécu 27 ans à ces débuts difficiles.
Ce qui m'a rendu cet acte précieux, c'est que le curé a bien détaillé l'identité de la sage-femme : Marie HERBAUT, femme de Jean-Baptiste BILLION. Or Marie HERBAUT est... la grand-mère maternelle du petit Denis, et donc mon ancêtre (S 411)!
Et voilà comment, sans m'y attendre du tout, j'ai découvert qu'au moins l'une de mes ancêtres avait été sage-femme dans le lointain 18° siècle...
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Une petite explication avant de poursuivre :
Qu'est-ce que l'ondoiement?
La doctrine catholique interdisait que les enfants morts sans baptême, et donc notamment les enfants morts-nés, soient enterrés dans un cimetière (= terre consacrée). Non nommés, sans accompagnement spirituel, enterrés dans un champ ou un chemin, ces pauvres petits se voyaient éternellement destinés à "errer dans les limbes", sorte de lieu intermédiaire entre paradis et enfer (et plutôt proche de l'Enfer), définitivement privés de la vue divine.
Cette perspective, bien sûr, plongeait les malheureux parents dans les affres de l'angoisse, et la seule issue était que l'enfant soit "ondoyé" dès sa naissance, c'est à dire qu'il reçoive de la matrone qui aidait à le mettre au monde, une sorte de "service minimum" : il fallait lui verser un peu d'eau sur la tête en déclarant : "Je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit." Dès lors, l'enfant pouvait décéder en paix, assuré de son salut.
Peu à peu, des aménagements se firent, ainsi en cas d'extrême urgence, l'enfant pouvait être ondoyé même avant d'être entièrement sorti du corps de sa mère, in utero. Il existait même des sortes de seringues à ondoyer que la matrone pouvait introduire dans le corps de la mère afin d'atteindre le crâne de l'enfant. L'ondoiement, pour être validé, devait se faire devant deux témoins, qui généralement étaient plutôt doués pour apercevoir "quelque marque de vie" sur l'enfant.
Ensuite, si l'enfant survivait, le père (ou à défaut un substitut) devait courir à l'église pour que le curé puisse "suppléer aux cérémonies du baptême", c'est-à-dire prononcer les prières spécifiques complémentaires. Cette sortie, qui pouvait aussi bien se faire dans le froid, la canicule, ou sous une pluie battante, contribuait dans bien des cas à achever le pauvre nouveau-né. Mais le plus important n'était-il pas le salut de son âme, avant même sa survie?...
Eglise Saint Cenery du Baizil
L'ondoiement était donc pratiqué en cas de "péril de mort" de l'enfant par la matrone - plus tard la sage-femme - qui avait aidé à mettre l'enfant au monde. Il était normalement indiqué sur le registre paroissial, pour justifier l'inhumation en terre consacrée d'un enfant non officiellement baptisé par le curé, ou pour expliquer pourquoi le curé s'était limité à "suppléer aux cérémonies du baptême".
C'est donc cela qui a été l'occasion de ma "trouvaille préférée":; l'activité de mon ancêtre Marie Louise HERBAULT comme sage-femme.
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Qu'aurais-je su sans la découverte de cet acte ?
"Marie" Louise est la fille d'un couple de manouvriers champenois, Claude ARBOST et Marie Anne VOIRIN. Elle est sans doute née vers 17351. Elle a alors un frère d'environ 2 ans, nommé Claude comme son père.
Deux ans et demi plus tard, le 8 janvier 1738, sa mère met des jumeaux au monde; il y a beaucoup d'agitation dans la maison, les choses se passent très mal; Jeanne COULANT, la matrone venue pour aider sa mère, prend la décision d'ondoyer les enfants pour leur éviter d'errer dans les limbes en cas de malheur. Mais l'un des deux petits décède aussitôt. Claude ARBOST, le père, emballe le nouveau-né survivant dans des linges et, malgré le froid de janvier, file à l'église, après être passé chercher un couple de voisins qui feront office de parrain et marraine, car il tient à faire baptiser le petit au plus vite. L'enfant est nommé Jean, mais hélas, fragilité de constitution ou conséquence de cette sortie dans l'hiver glacial, tout comme son jumeau, il décède aussitôt. Les deux petits corps seront ensevelis le jour même.
Agée de tout juste deux ou trois ans, la petite Marie Anne ne sait pas que quelques décennies plus tard, ce sera elle qui fera office de sage-femme dans le village, aidera les femmes à accoucher, et sera amenée à ondoyer les nouveaux-nés en danger de mort, comme par exemple son petit-fils Denis BEAUCHOT en 1787...
Deux ans et demi après cette funeste journée, le 9 juin 1740, Marie Anne VOIRIN met au monde un autre garçon, de nouveau appelé Claude comme le père, mais aussi André comme le parrain. Cet enfant dont je ne sais rien d'autre a-t-il pu grandir, ou fait-il partie de ces étoiles filantes décédées au bout de quelques jours ou quelques mois et dont de nombreux curés ne prenaient même pas la peine de noter le décès?
Le 23 juin 1743, Marie Louise a environ 8 ans, quand son père, Claude ARBOST, âgé d'une quarantaine d'années, décède après avoir reçu les sacrements de l'Eglise. Marie Anne VOIRIN, sa mère accompagne le corps de son mari au cimetière, et se remarie extrêmement vite, dès le 30 juillet, avec Félix ADOT, un cribleur de grains, veuf lui aussi. En fait, elle est enceinte de deux mois, et accouche d'un petit garçon posthume le 23 janvier suivant, exactement 7 mois après la mort de son premier mari. Elle l'appellera... Claude, comme le défunt, et comme le grand frère.
Moins de 3 mois plus tard, le 18 avril, l'aîné des enfants de Marie Anne, Claude ARBOST, décède à l'âge de 11 ans. Le beau-père Félix ADOT accompagne le petit corps au cimetière. Marie Anne va être bientôt de nouveau enceinte, de son second mari cette fois, et met au monde Jean ADOT le 26 mars 1745.
Elle a maintenant (au moins) deux enfants vivants, Marie ARBOST / HERBAULT, mon ancêtre, âgée de 10 ans, et le petit Jean ADOT, qui lui aussi deviendra adulte2. Le 4 janvier 1748 va encore naître une petite Marie Anne, qui décèdera à l'âge de 3 ans, le 4 janvier 1748, sous le prénom d'Hélène.
Marie Louise ARBOST, objet de cet article, a alors environ 13 ans. 7 ans plus tard, le 10 février 1755, âgée d'une vingtaine d'années, elle épouse dans l'église du Baizil un manouvrier, Jacques ROCHER, âgé de 21 ans. Son beau-père Félix HADOT est son témoin. Marie quitte le Baizil pour aller vivre avec son mari à tout juste quelques kilomètres, au hameau de la Cense Pernet, dans la paroisse de d'abbaye de la Charmoye, et tout juste un an après leur mariage naît mon ancêtre Marie Louise ROCHER3. Conformément à la tradition, pour ce premier enfant du couple, c'est le grand-père paternel, berger à Montlibault, dans la proche paroisse d'Orbais, à qui est le parrain, et Marie Anne VOIRIN, du Baizil, la grand mère maternelle, qui est la marraine.
Carte de Cassini : Montlibault et La Charmoye
Un an plus tard naît un petit Jacques, le 4 mars 1757, mais il meurt 15 mois plus tard, le 29 mai 1758. Puis Félix ADOT, le beau-père de Marie, meurt à son tour le 24 février 1761, suivi quelques mois plus tard, le 19 septembre, de sa femme Marie Anne VOIRIN, mère de Marie. Celle-ci devient orpheline à 26 ans, et le 18 octobre, perd encore son petit Pierre Joseph, poupon d'environ un an. Annus horribilis...
Le 30 septembre 1762, la naissance d'un petit Jean Baptiste lui apporte un peu de baume au coeur, mais le 8 janvier 1764, son époux Jacques ROCHER, décède. Elle n'a pas encore 30 ans, et a perdu deux des quatre enfants qu'elle a mis au monde et son mari.
Elle se remarie près de 3 ans plus tard, le 4 novembre 1766, avec Jean Baptiste BILLION, un manouvrier célibataire originaire de la paroisse de Chaltrais, assez proche pour qu'on y entende sonner la grosse cloche du Baizil. Son (demi) frère Jean ADOT est présent au mariage. Jean Baptiste, âgé de 32 ans, a été soldat quelques années. Il portait le sobriquet de "Sans regret" : tout une philosophie! C'est un homme d'1,60m, brun aux cheveux plats, et au nez pointu dans un visage rond. Il a une cicatrice au milieu du front. Le couple aura deux enfants : un garçon, Jean Baptiste, né environ un an après le mariage, et une petite Marie Thérèse qui naîtra le 18 novembre 1770, quelques mois après la mort du petit Jean Baptiste.
Six enfants mis au monde, trois décédés dans leur toute petite enfance...
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Marie Louise ROCHER (S 205), l'aînée des enfants de Marie, va se marier à l'âge de 23 ans, le 4 septembre 1779, avec Pierre BEAUCHOT (S 204), un charbonnier ardennais de 24 ans. Ils auront 9 enfants, dont 3 (sans doute 4) décèderont avant l'âge de 5 ans.
Jean Baptiste ROCHER, deuxième enfant vivant de Marie HERBAUT, travaillera d'abord comme domestique, puis comme voiturier, et épousera Marie Rose CHIQUET en 1791, puis, devenu veuf, Elisabeth LORIN en 1797.
Par contre, la jeune Marie Thérèse BILLON décèdera le 2 novembre 1789, dans des conditions terribles, puisque le registre paroissial précise que l'inhumation a dû avoir lieu "le même jour à cause de la trop grande corruption" du corps... Quel chagrin pour Marie HERBAUT et toute la famille!
Malgré la perte de 4 de ses 6 enfants, Marie aura une douzaine de petits enfants, donc plus de la moitié deviendront adultes.
Son mari Jean Baptiste BILLION décède au Baizil en septembre 1807. Il est dit veuf, mais je n'ai pas encore trouvé le décès de Marie4.
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Bref, dans aucun des actes qui la concernent elle-même de près, il n'est mentionné qu'elle était sage-femme. En juillet 1797, aors qu'elle exerce toujours, elle est présentée comme "manouvrière" lors du remariage de son fils Jean Baptiste ROCHER. Et donc sans l'acte de baptême de son petit-fils Denis BEAUCHOT, je n'aurais jamais pensé à suivre sa carrière de sage-femme dans les registres. J'avais d'autant moins de chances de la repérer par hasard que, née sous le patronyme d'ARBOST et mariée sous celui d'HERBAULT, au fil des nombreux actes où je vais finalement la retrouver, elle est nommée de mille façons différentes : HARBOT, HERBOT, HERBAUX, HARBEAU, ARBEAUX, GERBOT (sic), GERBAUD, etc, et même Marie ADOT, du nom de son beau-père, ou encore Marie Catherine ARBAULT (sic), mais c'est bien elle puisque le nom de son mari est précisé, et il n'y a pas d'homonymes (une chance)!
Un grand merci d'ailleurs à Dom MANESSE de l'avoir identifiée avec précision lors du baptême de 1787, ce qui m'a permis de découvrir qu'elle pratiquait cette activité, forcément intermittente dans un petit village5.
Pour en savoir plus, cliquez ici : 2ème partie : la carrière de Marie Louise HERBAULT, sage-femme au XVIII° siècle
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Notes :
1) malheureusement il y a une lacune dans les registres de l'époque
2) et peut-être encore Claude André, presque 5 ans, et Claude, le petit posthume, 11 mois ? mais je n'ai plus retrouvé de trace d'eux
3) future mère du petit Denis BEAUCHOT qui sera donc ondoyé par sa grand-mère en 1787
4) je n'ai pas trouvé son acte de décès au Baizil; est-elle décédée à l'occasion d'un déplacement dans une paroisse voisine?)
5) le recensement de 1793 dénombre 436 habitants au Baizil en 1793 ; en 1788, le curé rédige en tout 10 actes de baptême, et 15 en 1789)