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Le hameau de Cistrières, commune de St Germain l'Herm (Puy de Dôme)

Le hameau de Cistrières, commune de St Germain l'Herm (Puy de Dôme)

       En 1985, j'avais découvert avec surprise que nous avions des racines auvergnates en interrogeant ma très chère grand-mère maternelle peu avant sa mort sur l'identité de ses propres grands-parents. Elle avait des souvenirs précis de noms et lieux qui me furent très utiles ensuite, mais j'avoue ne pas avoir eu l'idée de lui demander si elle savait pourquoi et comment son grand-père maternel avait quitté sa région natale pour aller s'installer en Champagne.

 

       Je ne me doutais pas, à l'époque, qu'un jour cette question me tarauderait et que ce serait précisément pour avoir longuement cherché pourquoi Jean Maurice MAGAUD avait émigré à des centaines de kilomètres de son Puy de Dôme natal que je publierais près de quarante ans plus tard, en novembre 2022, tout un challenge sur la mobilité de mes ancêtres.

 

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        Il m'a fallu longtemps pour reconstituer la vie de mon Sosa numéro 30. En effet, à l'époque où j'avais interrogé ma grand-mère, on en était encore à la préhistoire de la généalogie, avec l'impossibilité de consulter les archives à distance. De plus, j'ai longtemps cru que je ne pourrais pas remonter cette branche auvergnate, car un courrier de la mairie de St Germain L'Herm où était né Maurice m'avait appris que les archives communales avaient brûlé dans un incendie.

    

        J'ai tardé une trentaine d'années avant de reprendre les recherches sur cette branche, profitant de la mise en ligne des actes paroissiaux et d'état-civil en ligne, et de la judicieuse tenue en double des registres, qui m'a permis de suppléer à la disparition des registres communaux grâce à la collection du greffe.

 

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       Maurice naît le 9 mars 1862 au hameau des Gouttes sur la commune de Saint Germain l'Herm, dans le Puy de Dôme. Il est le sixième enfant d'Antoine MAGAUD, métayer, et de Catherine OLEON, fileuse. Trois autres enfants naîtront encore dans les années suivantes. Les grands-parents MAGAUD sont de la Haute-Loire voisine, essentiellement de la commune de Chassignolles. Les grands-parents OLEON sont du Puy de Dôme, le Fayet-Ronnaye côté grand-mère, St Germain l'Herm côté grand-père. Mais seule l'administration divise ces origines, car en réalité, Chassignolles et Saint Germain ne sont distants que d'une dizaine de kms.

   

    Antoine MAGAUD et Catherine OLEON se marient à Chassignolles le 11 juillet 1848, et c'est là que naissent les premiers enfants, mais la petite famille s'installe à Saint Germain L'Herm quelques années plus tard. Entre 1865 et 1866, ils déménagent encore, cette fois pour Chambon-sur-Dolore, où ils s'installent au hameau de Chambon-l'Air. Jean étant métayer, je suppose que ces déplacements sont liés aux différents contrats de fermage qu'il obtient.

 

 

       Mais à peine deux ou trois ans plus tard, après avoir épargné pendant vingt ans1, Jean et Catherine deviennent enfin propriétaires, et s'installent à La Farge, toujours sur la commune de Chambon-sur-Dolore. D'après les recensements, ils habitent la seule maison du hameau : vieille bâtisse qu'ils retapent ou nouvelle construction de leur fait ?...

    Chambon-sur-Dolore : extrait du plan cadastral 55 FI 212 Section C de Rousson, 2ème feuille 1832 - AD Puy de Dôme

 

       Malheureusement, ce bonheur sera de courte durée : Antoine décède peu de temps après, le 27 mai 1871, à l'âge de 48 ans. Catherine se retrouve veuve avec 9 enfants : Jean va avoir 22 ans, Claude en a 20, Antoinette 17, Jeanne 16, Marie 12 , Jean Maurice 9, Virginie 6, Claude "Henri" 4, et la petite dernière, Marie Berthe, n'a que 15 mois.

 

Eglise de Chambon sur Dolore, où furent célébrés divers baptêmes mariages et funérailles de la famille MAGAUD-OLEON

 

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       En collectionnant les actes autour de cette famille, j'ai été frappée de constater que les pères étaient souvent absents lors des naissances. C'est par exemple le cas de celui de Catherine2, née le 6 avril 1825. L'enfant est déclarée par deux forgerons et un fripier, « en l'absence de Jean OLEON, scieur de long du lieu de Cistrières en cette commune ».

acte de naissance de Marie (Catherine) OLEON – Saint-Germain-L'Herm - avril 1825 – AD 63 - Saint-Germain-L'Herm

 

       Et sur les recensements, je voyais souvent un certain nombre d'hommes "absents". Ainsi, en 1872, un an après le décès d'Antoine, dans la seule maison de La Farge, habitaient :

OLEON Catherine propriétaire chef de ménage 46 ans

MAGAUD Jean son fils scieur de long 23 ans absent

MAGAUD Claude son fils scieur de long 21 ans absent

MAGAUD Marie sa fille 13 ans

MAGAUD Virginie sa fille 7 ans

MAGAUD Henri son fils 5 ans

MAGAUD Marie Berthe sa fille 2 ans3

       Le recensement de 1866 de Chambon-sur-Dolore précisait que ces hommes absents étaient "occupé(s) dans un autre département " :

       Curieusement, ces absents partis hors du département étaient presque toujours "scieurs de long". Il fallait en savoir davantage ! D'autant qu'en relisant l'acte de mariage de Jean Maurice avec Irma LAVIDIERE à La Chaussée sur Marne le 15 novembre 1887, je constatai que son grand frère Jean était dit "scieur à Louvois". Lui aussi était donc venu dans la Marne. Y-avait-il un lien entre les scieurs de long et la Champagne ? C'était ma seule piste, il fallait bien la suivre et voir si elle menait quelque part.

Me voilà donc partie à enquêter sur les scieurs de long...

On ne s'ennuie jamais avec la généalogie!

 

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       Les scieurs de long ont existé pendant des siècles, voire des millénaires. Ils débitaient les troncs d'arbres dans la longueur afin de créer planches, poutres, chevrons, voliges, etc... Sans eux, point de parquets, bateaux, hangars, traverses de chemins de fer, tonneaux, etc...

       Ils travaillaient par paire : le chevrier était juché en haut du tronc et guidait la scie, tandis que le renardier, en bas, la poussait. Le travail était mal payé, dangereux et épuisant, et durait du lever au coucher du soleil, six jours et demi sur sept.

       Le seul avantage de ce rude métier était que l'équipement nécessaire était léger, facile à transporter, et permettait donc d'aller travailler n'importe où. Or la vie dans les montagnes du Massif Central était rude. Il y avait de nombreuses bouches à nourrir, et les hivers interminables sous d'épaisses couches de neige ne permettaient pas aux paysans de cultiver la terre pendant de longs mois. De plus les sols étaient pauvres, ne permettant que de maigres récoltes, et il n'y avait pas d'industries locales. La seule solution pour de nombreuses familles était donc d'envoyer les hommes travailler au loin, là où leurs talents forgés dans un paysage de forêts trouveraient à s'employer.

 

 

      De nombreux auvergnats furent donc contraints, pendant des siècles, de s'exiler de nombreux mois chaque année, laissant femme et enfants au pays, afin d'aller gagner le pain de la famille à la sueur de leur front. Beaucoup étaient scieurs de long de père en fils : ainsi le père, les deux grands-pères, les oncles, les cousins et trois des quatre fils de Catherine OLEON. Pas un choix, mais une nécessité...

       Le départ des hommes – âgés de 15 à 50 ans- se faisait vers septembre-octobre, une fois les terres ensemencées pour l'année suivante et avant l'arrivée du froid, et les retours n'avaient lieu que vers la Saint Jean de l'année suivante, juste à temps pour reprendre les travaux des champs. Cette migration annuelle de nombreux hommes dans la force de l'âge influençait bien sûr le rythme des naissances - les femmes accouchaient le plus souvent au printemps, en l'absence du mari -, et les mariages étaient souvent célébrés fin août, à la fin des récoltes et avant le grand départ.

        A l'automne, les villages se vidaient donc d'une grande partie des hommes. Ne restaient que les vieillards, les femmes, les jeunes enfants, les estropiés et les artisans qui travaillaient sur place. Dans les hameaux isolés de la montagne, avec les congères hivernales, le vent froid, l'absence des maris, des frères, des pères, devait souvent être cruellement ressentie.

 

   

     Les hommes partaient en groupes, et retournaient généralement dans les mêmes lieux chaque année. Avant l'arrivée et la démocratisation du chemin de fer dans la deuxième moitié du XIX° siècle, ils voyageaient à pied, faisant des étapes de 40 kms, dormant dans des granges...

 

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       Depuis quand les scieurs de St Germain partaient-ils dans la Marne ? Les fils de Catherine prirent-ils le relais de leurs grands-pères et autres aïeux ? Toujours est-il que ses fils aînés , Jean, et Claude MAGAUD, partaient chaque année travailler au loin, et pendant plusieurs années, naviguèrent entre l'Auvergne et la Marne. Avec une parenthèse qui les éloignait une fois de plus de leur village : la conscription.

       Dans le cas de Jean, ce fut même une double peine, puisqu'il fut incorporé le 11 août 1870, dans une France en guerre depuis le 19 juillet. Il partit donc immédiatement de Clermont-Ferrand pour rejoindre le 93° de ligne, et passa ensuite au 31° de marche le 22 septembre. Il était donc bien loin de son Auvergne natale pendant toute la durée de la guerre.

  Réservistes- 1870 - Pierre-Georges Janniot - Hôtel des Invalides, Paris- (domaine public)

         La guerre se termina le 28 janvier 1871. Jean passa au 31° de ligne le 29 août 1871 puis dans la réserve le 30 septembre 1871 comme « fils aîné de veuve », son père étant mort le 27 mai.

    Libéré de ses obligations militaires, il reprit immédiatement sa scie pour aller gagner de quoi aider sa mère à élever ses frères et sœurs. Ainsi, en 1872, âgé de 23 ans, il était « scieur de long » « absent » lors du recensement de Chambon-sur-Dolore. Son frère cadet Claude, 21 ans, également4.

 

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       L'année suivante, fin août comme le veut la tradition et l'imposent les réalités économiques, Jean se marie à Chambon. Alors que certains scieurs de long épousent des filles de leurs régions d'adoption, Jean se marie avec une payse, Jeanne OLEON. Et à peine quelques semaines plus tard, comme tant d'autres, il repart sur les routes avec son frère Claude, laissant Jeanne sa toute jeune épouse à la Farge, auprès de sa propre mère et de ses plus jeunes frères et sœurs. Encore une année, de nouveau l'été au village puis les longs mois de séparation, et le 9 mars 1775 naît Antoine MAGAUD, fils de Jean et Jeanne, alors que Jean est toujours « scieur de long travaillant hors du département ». Malheureusement l'enfant ne survit pas, et le jeune père découvre un berceau vide à son retour.

       A la fin de l'été, le 21 août 1875, Claude, son frère cadet, épouse Marie BOUCHET à Chambon, et part s'installer dans sa belle-famille, au Fayet Ronnaye, à 13 kms de là. Marie, comme ses sœurs, est dentellière (on est dans le Puy de Dôme!) Au recensement de décembre 1876, Claude est présenté comme scieur de long, mais il est apparemment présent au Fayet cet hiver-là. Peut-être fait-il encore quelques saisons au loin, mais il va rester vivre en Auvergne, où il décèdera en 1906.

       A l'inverse, assez rapidement après leur mariage, Jean et sa femme prennent une décision radicale et partent s'installer définitivement dans la Marne, à Louvois, où Jeanne accouche le 24 septembre 1877 d'un enfant, hélas sans vie. Il semble que le jeune couple supporte mal les mois de séparation qui reviennent chaque année et préfèrent vivre à l'année près du lieu de travail de Jean.

       Jeanne et Jean auront peu de chance avec leurs enfants : Jeanne en met six au monde, mais seule la petite Marie Ernestine née en 1880 parviendra à l'âge adulte. Les deux premiers enfants du couple décèdent dès la naissance, puis Claudius Gabriel meurt à deux ans (25 juillet 1885 /17 août 1887) ; leur fille Marguerite également, le 10 férier 1891 ; et un autre fils, Claudius Antoine à un an et demi (14 avril 1893 / 5 octobre 1894).

         A la cinquantaine, en 1901, Jean MAGAUD est recensé avec sa femme à Condé sur Marne ; après des décennies de dur labeur comme scieur de long, il a réussi à s'acheter un lopin de terre et est devenu vigneron. J'espère qu'il a enfin pu mener une vie paisible auprès de Jeanne. Je le suis à Condé jusqu'au recensement de 1911, mais il me reste à trouver où et quand il est décédé. En tout cas il n'apparaît plus sur le recensement de Condé de 1921.

 

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       Grâce à la découverte des migrations des scieurs de long auvergnats, j'avais donc enfin compris comment Jean MAGAUD, l'oncle de ma « mèmère Pique » (sosa 15), le grand-oncle de ma mémère Charlotte, en était venu à s'installer dans la Marne avec sa jeune épouse, après des années d'allées et venues entre l'Auvergne et la Champagne.

       Mais pour ce qui était de mon ancêtre Jean Maurice, qui travaillait comme « perruquier » lors de son mariage à La Chaussée sur Marne en 1887, comment expliquer ce départ du Puy de Dôme ? Lui n'avait aucune raison professionnelle de faire un tel trajet et de ne pas être resté dans son Auvergne natale, comme son frère Claude, et ses sœurs Antoinette, Jeanne et Marie ... Il fallait donc encore et toujours chercher pourquoi...

       C'est finalement en remplissant un tableau de ligne de vie que j'ai fini par comprendre ce qui s'était passé. Nous verrons donc demain pourquoi finalement Jean Maurice viendra rejoindre son frère aîné dans la Marne, où il épousera en 1887 la Champenoise Irma LAVIDIERE dit LACOINTAT, qui donnera naissance à mon arrière-grand-mère en 1890...


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Notes :

  1. Et peut-être aussi grâce à un petit héritage, le père de Catherine, Jean OLEON, décédant le 9 décembre 1867, à l'âge de 82 ans? Hypothèse à vérifier

  2. Appelée Marie sur son acte de naissance, mais je vous épargne le jeu de piste qui m'a confirmé qu'il s'agit bien d'elle, appelée tantôt Marie tantôt Catherine

  3. Jean Maurice, qui a 10 ans, est «  berger domestique  » chez un couple de quinquagénaires à Rousson, un autre hameau de la commune. Je n'ai pas encore trouvé Jeanne et Antoinette, sans doute placées comme bergères ou domestiques dans une autre commune

  4. Malgré diverses recherches, je n'ai toujours pas trouvé la fiche matricule de Claude





 



 

 

 

 

Tag(s) : #Ancêtres Marnais, #Ancêtres Auvergnats, #Challenge AZ 2022, #Branche maternelle
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