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Carte d'Etat-Major - 1866 - https://remonterletemps.ign.fr

Carte d'Etat-Major - 1866 - https://remonterletemps.ign.fr

       Certes, j'ai pas mal d'ancêtres voyageurs, choisissant d'aller s'implanter dans une autre région, voire un autre pays, ou trimballés malgré eux par les aléas de l'histoire.

       Mais évidemment, il y a aussi les Immobiles, ceux qui ne bougent pas, et passent leur vie entière sur une petite poignée de kilomètres carrés.

       Parmi ceux-ci, j'ai une pensée émue et un peu triste pour Florence Ismérie AUTREAU, l'une de mes arrières-arrières-grands-mères du côté maternel, dont la vie est indissociable de celle de ses parents.

***

       Issu d'une famille de champenois de Dizy (petite commune du canton d'Ay dans la Marne), Pierre Bonaventure, né le 28 juin 1799, vannier, faisait figure d'exception parmi tous les descendants de Simon AUTRÉAU (1692-1768), systématiquement vignerons depuis le début du XVIII° siècle. Peut-être parce que, orphelin à 6 ans 1/2, et de mère à 12, et tout dernier enfant d'une fratrie de huit, il n'avait pu prétendre à une parcelle de vigne comme ses frères, et avait dû faire un apprentissage d'artisan?1

       Toujours est-il qu'il s'était marié une première fois, le 24 novembre 1823, avec Marie Madeleine HENRY, une jeune couturière d'Ay, où il était allé s'installer auprès de sa belle-famille... Mais cinq ans plus tard, en 1828, en l'espace de trois mois, Bonaventure allait perdre sa femme et ses deux premiers enfants : Alexandre, le 6 septembre 1828 à l'âge de 3 ans, puis, le 9 décembre, Eugène, âgé de 19 mois décéda à 12 kms, aux Istres-et-Bury (en nourrice?), et moins d'une semaine plus tard, le 15, Marie Madeleine, son épouse, mourut à son tour, âgée de seulement 23 ans. A 29 ans, Bonaventure voyait sa première famille brutalement décimée. Toutefois, au milieu de ces chagrins, le 27 octobre 1828, était née une petite Aline, qui, elle, survécut, jusqu'à l'âge de 62 ans.

       Désormais veuf et en charge d'un tout jeune bébé, Bonaventure était revenu à Dizy auprès de ses frères, et s'était remarié six mois et demi plus tard, le 30 juin 1829, avec mon ancêtre Joséphine LEGRAND, 18 ans. Le malheur ayant la peau dure, quinze jours plus tard, un nouveau drame l'avait frappé : la disparition de son frère aîné, Jean Pierre, vigneron de 48 ans, « trouvé mort sur le bord de la Marne ».

       Le 22 février 1831, Joséphine mit au monde un petit garçon, Auguste Emile. Peut-être un accouchement inopiné, car l'enfant était né, de façon assez inattendue j'imagine, "dans la maison de Monsieur le vicomte de Grassin". Mais une fois de plus, Bonaventure, qui décidément portait bien mal son nom, eut le chagrin de perdre assez rapidement ce fils, car, même si je n'ai pas encore retrouvé son acte de décès, ce petit garçon est absent du foyer lors du recensement de 1836, et je n'en trouve aucune trace ailleurs. Sans doute est-il mort en nourrice dans quelque autre commune, comme son demi-frère Eugène.

      On le voit, la vie de Bonaventure était sans cesse marquée par les deuils, et quand mon ancêtre Florence Ismérie naît, le 1er mai 1833, elle est le cinquième enfant de son père, mais n'a en fait qu'une demi-soeur de quatre ans et demi. Deux ans plus tard, le 19 décembre 1835, naîtra une petite Constance Célinie qui elle aussi parviendra à l'âge adulte. Pendant quelques années, le sort cesse donc enfin de s'acharner sur la famille de Bonaventure, qui aura perdu ses trois garçons en bas âge, et vu grandir ses trois filles.

     En 1836, la petite famille habite toujours à Dizy, et Ismérie LEGRAND, jeune soeur de Joséphine, ouvrière en linge âgée de 24 ans, vit avec eux. Ismérie étant le deuxième prénom de mon ancêtre Florence, j'imagine que la tante est la marraine du bébé. En 1846, Ismérie n'est plus avec eux (elle s'est mariée en juillet 1842), mais Pierre LEGRAND, père de Joséphine et Ismérie, veuf de 64 ans, les a rejoints.

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       Je ne sais pas quand ils déménagent (en laissant le grand-père LEGRAND à Dizy), mais le 25 novembre 1850, quand Florence, âgée tout juste de 17 ans et devenue blanchisseuse, épouse un jeune tonnelier de 21 ans, Louis DUFRESNE (mon sosa 54), toute la famille a déménagé à Ay.

       A vrai dire, la jeune mariée est bien rondelette, puisqu'elle accouche exactement 3 mois plus tard. La naissance d'Elise Eugénie (ma sosa 27) le 25 février 1851 est déclarée par le père et les deux grands-pères.

       Le jeune couple s'est installé chez Bonaventure. La grand-mère, Joséphine travaille comme couturière. Constance Célinie, la soeur de Florence, a 15 ans et suit les traces de leur mère : elle est apprentie couturière. Louis DUFRESNE, le mari de Florence, est tonnelier comme son père. Bonaventure AUTREAU étant cette fois désigné comme "vannier tonnelier", il est probable qu'il aide son gendre dans son métier.

       A la fin du recensement, le maire juge utile de préciser que "La population [d'Ay] a diminué de 112 habitants depuis le dénombrement de 1846; cette diminution doit être attribuée au choléra et aux événements pétitionnaires de 1848, un grand nombre d'ouvriers ayant, à cette époque, quitté la commune faute d'ouvrage".

       Le 23 août 1852, Florence AUTRÉAU met encore au monde une petite Aline Émilie, puis, le 3 décembre 1853 un garçon, Émile.

       Quand le 28 mai 1855, Aimé, frère de Louis, se marie à Oiry, une commune voisine, toute la petite famille se déplace pour la fête : Louis, qui a 25 ans, sa femme Florence, 22 ans, la petite Elise, 4 ans, Aline, 2 ans 1/2, Emile, 1 ans 1/2. Et Florence est enceinte de deux mois 1/2 d'une petite Céleste, qui naîtra le 14 décembre 1855.

 

***

     Hélas, cette naissance va marquer la fin des jours heureux. Un mois plus tard, dans la nuit du 18 au 19 janvier, Louis DUFRESNE, âgé seulement de 26 ans, décède sur les deux heures du matin.

       Devenue veuve2 à 22 ans, Florence l'ignore encore, mais elle n'est pas au bout de ses chagrins : le 28 mai, elle perd sa petite Céleste âgée de 5 mois, et le 20 juin, c'est le tour d'Émile, deux ans. En quelques mois, la famille a été décimée. L'histoire vécue trente ans plus tôt se répète.

      Comme malgré tout , la vie suit son cours, le 5 novembre de la même année, Constante Célinie, sa jeune soeur, couturière, épouse à 20 ans Auguste AUBERT, un tonnelier de 21 ans, et le 26 décembre 1858 au petit matin naît Hélène Marie AUBERT, que Pierre-Bonaventure, en fier grand-père, va déclarer avec son gendre à la mairie le lendemain.

***

       Les années passent. Florence, par choix ou faute d'autre solution, a renoncé à sa vie de femme, et vit toujours auprès de ses parents et de ses deux filles. Elle cesse à un moment de travailler comme blanchisseuse, pour devenir repasseuse, travail physiquement un peu moins éprouvant ( mais fort pénible quand même, ne rêvons pas!).

     Edgar Degas Repasseuses entre 1884 et 1886 

© RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay)

      Le 22 juin 1870, elle marie sa fille Elise Eugénie (ma sosa 27) , 19 ans, couturière, à François BARATTE (sosa 26), un jeune domestique de 22 ans venu du Nord, et le couple s'installe dans une rue voisine. Florence et sa fille célibataire Aline vivent toujours chez le patriarche Bonaventure et sa femme Joséphine.

         Moins d'un mois après le mariage d'Elise et François, la guerre éclate, le 19 juillet. J'ignore actuellement si François a été mobilisé. Il n'est pas évident de trouver des informations précises sur la façon dont "nos gens" comme dirait Sylvaine, nos "invisibles", ont vécu cette guerre. Guère de numérisation actuellement des archives de cette période. Mais la Champagne se trouvant sur le trajet des troupes prussiennes vers Paris, Bonaventure, Florence et les autres, ont dû voir les effets de la guerre de près.

       Le recensement de 1872 précise qu'Aline, fille du premier lit de Bonaventure, qui est restée célibataire toute sa vie et a toujours travaillé comme domestique chez l'un ou l'autre dans Ay, est domestique chez sa soeur Célinie et son beau-frère Auguste AUBERT. Mais très vite, le 23 juin, Célinie décède, à l'âge de 36 ans. Cinq ans plus tard, Hélène Marie, fille de Célinie, tout juste âgée de 18 ans, épouse Théophile BRUNESSEAUX, jeune négociant rémois. De façon exceptionnelle dans cette famille, elle va quitter Ay et le cocon AUTREAU pour la grande ville où vit son mari, et c'est à Reims que naîtront ses enfants, arrières-petits-enfants de Bonaventure.

       En 1880, le 15 mars, Joséphine LEGRAND, épouse de Bonaventure et mère de Florence, 69 ans, décède dans leur domicile rue Clamecy à Ay. Le couple est qualifié de "rentiers". Dès lors, le vieux Bonaventure et Florence vont habiter chez Aline DUFRESNE, 30 ans, la fille de Florence, et son mari Jean Baptiste BAUDET, 30 ans, bûcheron, et leurs 3 enfants de 4, 3 et 1 ans. Ces quatre générations vont cohabiter jusqu'au 19 mars 1884, qui voit mourir le vieux Pierre-Bonaventure, âgé de 84 ans.

       Ayant perdu ses deux parents, ses deux filles étant mariées, Florence va désormais vivre chez Aline, la plus jeune, et son gendre BAUDET.

       Après avoir perdu son mari et deux enfants très tôt en 1856, sa plus jeune soeur Célinie en 1872, elle va voir aussi mourir son aînée, Aline, 62 ans, en 1891.

       Elle-même vivra jusqu'à l'âge de 83 ans, restant toute sa vie auprès des siens, jusqu'à son décès le 24 janvier 1911, après un veuvage de 55 ans...

***

       Née à Dizy en 1833, elle est partie vivre avec ses parents à Ay, le chef-lieu de canton, à l'adolescence, et n'en a plus bougé. Toute sa vie s'est déroulée sur un espace minuscule de quelques kilomètres carrés.

Combien de larmes a-t-elle versées face aux nombreux deuils qu'elle a dû affronter?

Combien de milliers de pièces de linge sont-elles passées entre ses mains besogneuses pendant ses décennies passées à laver puis à repasser pour les autres?

Quels rêves a-t-elle nourris?

combien en a-t-elle pu réaliser ?

A combien a-t-elle sû renoncer?

J'espère qu'au moins, au milieu de cette vie humble et douloureuse, elle a su trouver des petits moments de bonheur, des petites joies quotidiennes...

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Notes:

  1. Encore des recherches à faire aux AD de la Marne un jour !

  2. Le juge de paix a probablement à cette occasion réuni un conseil de famille. Il faudra voir un jour aux AD 51 si je peux en retrouver la trace

 

 

Tag(s) : #Challenge AZ 2022, #Branche maternelle, #Ancêtres Marnais
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