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A comme ... A l'Arrivée du bateau à vapeur

           J'ai longtemps cru que l'implantation de ma famille à Belle-Isle-en-Mer datait des années 1920, lors de l'achat de la maison familiale1.

 

        Mais en fait, dès le début de mes recherches, dans les années 80, j'ai réalisé qu'il s'était alors agi pour mon arrière-grand-mère d'un retour vers les origines et non d'une implantation nouvelle. S'en sont suivies la passionnante découverte de mes origines acadiennes, de mes racines belliloises, etc.

 

         Mais alors d'où venait cette rupture avec l'île? Quand et pourquoi cette branche de ma famille avait-elle quitté ce petit bout de terre battu par les vents, où nous reviendrions plus tard pour un siècle et cinq générations?

 

***

 

       A défaut de savoir pourquoi, je sais maintenant quels sont ceux de mes ancêtres qui ont quitté l'île pour s'installer sur le continent et à peu près quand...

 

       Fils d'un Bellilois (Pascal LE GALLENNE) et d'une Acadienne (Marie Euphroisine LE BLANC), Mathieu GALLEN ( LE GALLEN / GALLENNE / LE GALLENNE) naît le 27 janvier 1839 au hameau de Kergallic (commune de Bangor). 23 ans plus tard, le 30 avril 1862, il épouse à l'église de Bangor Marie "Catherine" DUON, fille d'un Acadien (Joseph Marie DUON) et d'une Belliloise (Marie Thérèse LE GALLENNE). Ce couple est donc une parfaite synthèse de ces deux origines qui ont fusionné dans l'île à la suite du Traité de Paris.

 

         Jusqu'à la fin du XIX° siècle (et même au-delà), pour les garçons bellilois qui n'étaient pas marins, la quasi seule occasion de découvrir le continent était la conscription. Mais en 1859, quand Mathieu tire le N°46/63, seuls les 29 premiers sont sélectionnés pour rejoindre l'armée. Le jeune homme fut-il soulagé d'échapper aux obligations militaires?... Ou au contraire avait-il vu la conscription comme une chance d'élargir son horizon, et se désola-t-il de voir soudain cette chance lui échapper? Il faut dire qu'il pouvait y avoir de quoi se sentir à l'étroit dans les 85 km² du caillou de schiste où il était né. Mais à l'époque, de nombreux Bellilois, - et encore plus de Belliloises - n'avaient d'autre horizon durant toute leur vie.

 

        S'il nous semble évident aujourd'hui d'aller prendre le bateau2 pour Quiberon, la liaison avec le continent n'a pas toujours été si simple. Jusqu'au milieu du XIX° siècle, seuls les bateaux de pêche et les chasse-marées3 permettaient de quitter ou de rejoindre l'île. Il y avait bien sûr des bâtiments militaires, français ou anglais, mais ils n'assuraient pas le transport de civils.

 

       Il fallut attendre les années 1850 pour qu'une liaison régulière (3 à 4 fois par semaine) relie Lorient et Nantes, avec escale à Belle-Isle, grâce aux bateaux à vapeur. Mieux encore, en 1862, une ligne régulière fut établie entre Belle Isle et Auray.

 

       C'était toutefois moins confortable qu'aujourd'hui, puisqu'il fallait embarquer sur une chaloupe pour rejoindre le bâtiment ou le quai... Et cela ne pouvait se faire qu'à marée haute. Mais c'était certainement un progrès pour désenclaver l'île, qui s'ouvrit dès lors au tourisme. Ainsi parut en 1853 un Guide du voyageur aux bains de Belle Île en mer, puis en 1891 le Guide pratique du voyageur à Belle-Île-en-Mer, suite à la construction en 1890 de l'avant-port de Palais, qui allait simplifier les embarquements et débarquements, en les rendant indépendants des marées.

 

 [vers 1900]. Archives départementales du Morbihan, 9 Fi 152/61

***

       C'est dans ce contexte d'ouverture de l'île qu'entre 1876 et 1881, Mathieu et Catherine décident de changer de vie et d'aller s'installer à Auray. Il faut dire que Mathieu n'aime guère la routine. Alors que ses père, beau-père, frères, sont tous cultivateurs, il s'essaie d'abord au métier de boulanger, à 19/20 ans, en 1859; sans grand succès sans doute, puisque trois ans plus tard, il est rentré dans le rang et se résigne à devenir cultivateur, comme le reste de la famille. Mais les rêves ont la peau dure, et donc après une quinzaine d'années de mariage et de travail de la terre à Kervilahene en Bangor, mari et femme embarquent leurs trois enfants, Mathieu-Léon,15 ans4, Marie Félicie, 14 ans, et Emma, 7 ans, dans la chaloupe puis sur le vapeur qui les conduit au port de Saint-Goustan à Auray.

 

       Avaient-ils déjà un projet précis? comptaient-ils trouver du travail une fois sur place? Toujours est-il que dès 1881, le recensement les voit installés "Quai de la Porte d'Auray" à Saint Goustan, où Mathieu, le chef de famille, travaille comme loueur de voitures. Catherine est débitante de boissons, et l'aîné, Léon, 18 ans, a trouvé un emploi de serrurier.

       Cinq ans plus tard, en 1886, ils sont toujours à la même adresse -qu'ils ne quitteront d'ailleurs plus -, mais cette fois, Mathieu a rejoint sa femme au débit de boissons.

       Les recensements étant déclaratifs, faut-il imaginer l'agent recenseur bien imbibé après sa pause au comptoir des GALLEN, ou peut-être Mathieu lui-même ayant abusé de ses bouteilles? Toujours est-il que le registre fait état d'un être apparemment bicéphale :

           "Léon LE CORRE, gendre, 23 ans, marin" (sic)

étrange croisement entre :

- Léon GALLEN, fils, 23 ans, serrurier

et

- Jacques Vincent LE CORRE, gendre, 31 ans, marin (il a épousé l'aînée des filles, mon arrière-arrière-grand-mère Marie Félicie, l'année précédente)

 

AD 56 - recensement Auray 1886

Moralité, toujours se méfier même des actes,

surtout s'ils sont déclaratifs,

et recouper, recouper, recouper...

 

***

       Au recensement suivant, en 1891, les parents tiennent toujours le débit de boissons, mais les aînés des enfants sont partis; Léon a retrouvé Belle-Isle, où il travaille comme gardien "à la colonie" - autrement dit le bagne pour enfants de sinistre mémoire - et où il se marie avec une lingère palantine5, et Marie Félicie a suivi son marin de mari à Lorient. Seule Emma, âgée de 19 ans, vit encore chez ses parents.

 

       En 1896, Mathieu, qui décidément n'aime pas la monotonie, a changé de métier : il est devenu commissionnaire. Par goût ou par nécessité? Pourtant, les affaires ne semblent pas aller si mal, puisque Catherine, maintenant seule à tenir le débit de boissons, a pu embaucher une domestique de 18 ans.

       Jules JANIN dans son ouvrage "Les petits métiers", publié en 1833, fait ce portrait du commissionnaire :

       "Le commissionnaire du quartier est le plus souvent un épais gaillard à la vaste poitrine, aux larges épaules, à la barbe noire ; on sent, à le voir, que c’est un homme à son aise qui ne doit rien à personne6 à qui on doit beaucoup, et qui n’est pas sans avoir quelque bonne réserve pour les mauvais jours. Le commissionnaire du quartier, c’est notre domestique à nous tous ; il est de toutes les maisons, il entre et il sort à volonté. Il est le fidèle et digne dépositaire de plus d’un petit secret qu’on lui paierait bien cher ; mais, à aucun prix, il ne vend le secret de personne. Du reste, il est indépendant comme un domestique qui appartient à plusieurs maîtres ; actif, infatigable, sobre, patient, curieux, mais curieux en dedans et pour lui seul, toujours prêt à se mettre en route, toujours prêt à obliger, et obligeant avec le même zèle soit les affaires, soit les amours. Une rue de Paris ne serait pas complète si elle n’avait pas son commissionnaire à elle, à côté de son épicier et de son marchand de vin."

       A son aise et indépendant, c'est bien l'idée que je me fais de mon Mathieu GALLEN... Mais ce nouvel emploi me chiffonne un peu quand même, ça sent le déclassement...

       En fait, les aventures de Mathieu arrivent à leur fin, puisque, un an plus tard, le Journal de Ploërmel du 23 juin au 7 juillet 1897 annonce le décès de "Mathieu GALLEN âgé de 58 ans, commissionnaire, époux de Catherine DUON, Quai de St Goustan ".

 

***

      Depuis quelques années, j'en étais là de mes connaissances sur ce couple, quand il y a un ou deux ans, j'ai soudain fait un grand pas supplémentaire. En effet, par chance pour le généalogiste, une grande partie de la presse ancienne est en ligne aux AD du Morbihan, et j'aime y faire des sondages de temps à autre. Et voilà qu'un article du Nouvelliste du Morbihan en date du 8 octobre 1899 annonce la :

VENTE sur licitation judiciaire en un seul lot D'UNE MAISON D'HABITATION à usage d'auberge, sise à Auray, quai de St Goustan 23. MISE A PRIX, cinq mille francs, ci 5.000 fr.
L'adjudication est fixée au vendredi 27 octobre 1899 à une heure du soir, en l'étude et par le ministère de Maître PARCHEMINIER, notaire à Auray.

 

 

       Et je découvre alors que le débit de boissons tenu par Mathieu et Catherine était stratégiquement nommé "A l'arrivée du bateau à vapeur", N° 23 quai Saint Goustan.

 

#Généajoie, comme vous vous en doutez!

    D'autant que l'annonce contenait une mine d'informations.

         Ainsi, la décision de cette vente résultait d'un

"jugement rendu contradictoirement par le tribunal civil de Lorient le trente aout 1899, à la requête de Monsieur Jean-Auguste BAMDÉ, marin au commerce, demeurant à Saint Goustan, en Auray. Pour lequel domicile est élu à Lorient, rue des Colonies N° 26 bis,

Contre :
1° Madame Catherine DUON, veuve de Monsieur Mathieu GALENNE, sans profession, demeurant à Carnel-Lorient;
2° Madame veuve LE CORRE, née Marie GALLENNE, sans profession, demeurant à Carnel-Lorient;

3° Monsieur Léon GALLENNE, marin vétéran, demeurant à Carnel-Lorient;
4° Madame Emma GALLENNE, épouse assistée et autorisée de Monsieur Auguste BAYON, instituteur, demeurant ensemble à Tréal, canton de la Gacilly (Morbihan)"

       Bingo! en plus de la découverte inattendue de l'auberge, émue d'en retrouver le nom 120 ans plus tard, j'en apprenais soudain davantage sur Léon (qui avait donc quitté Belle-Isle au bout de quelques années) et sur Emma (dont j'ignorais le mariage)... et je découvrais aussi que, devenue veuve et sexagénaire, Catherine DUON avait rejoint à Lorient sa fille Marie Félicie, que je savais également devenue veuve, et ses quatre petits-enfants âgés de 13 à 6 ans.

 

***

       Outre ces informations biographiques, l'annonce du journal avait encore quelques cadeaux à m'offrir :

- la description de la maison-auberge en question :

"Une maison d'habitation à usage d'auberge, sise à Auray, quai de Saint-Goustan N° 23, portant pour enseigne : "A l'arrivée du bateau à vapeur"; la dite maison ayant trois pièces au rez de chaussée, quatre pièces au premier étage, grenier au-dessus, jardin derrière, avec appentis construit en pierres et couvert en ardoises"

- et sa localisation :

"Le tout porté au cadastre des propriétés bâties et non bâties de la commune d'Auray sous la section A N° 623, pour une contenance de un are quatre vingt sept centiares, et ayant pour abornement, à l'ouest, le quai de Saint-Goustan, au nord une ruelle, à l'est la rue du Petit Port, et au sud, les maisons Michelot et Robigo".

 

       Bien que le cadastre correspondant ne soit pas en ligne, une recherche sur le plan d'Auray m'a permis je pense de localiser l'endroit en question (le quai de St Goustan s'appelle aujourd'hui quai Franklin, souvenir du passage dudit Benjamin en décembre 1776) : la ruelle au Nord, le quai à l'ouest, la rue du Petit Port à l'Est, des maisons au sud : cela semble bien correspondre.

 

 

       Malheureusement, alors que le quai du Port de Saint-Goustan a pour l'essentiel gardé sa physionomie très ancienne, avec ses maisons à colombage, si je ne me suis pas trompée d'emplacement, la fameuse auberge "A l'arrivée du bateau à vapeur" a totalement disparu, remplacée par une maison massive et visiblement beaucoup plus récente... On ne peut pas tout avoir...

 

Street view Google map- on retrouve la petite rue sur la gauche

 

       Mais à force de farfouiller sur le net, j'ai fini par trouver une vieille vue aérienne du port de Saint Goustan, où, toujours grâce à la « petite rue » qui bordait l'auberge au nord, j'ai enfin pu trouver une vue de l'auberge : la petite rue, les deux étages plus le grenier, le jardin derrière et les maisons côté sud, tout y est ! Nouvelle généajoie, évidemment !

 

***

       Précisément installés "à l'arrivée du bateau à vapeur" qui assurait une liaison quotidienne avec leur île natale et transportait, outre des passagers, de l'épicerie, des produits manufacturés, des poulains qui partaient à l'engraissement, du bois, des fagots pour chauffer les fours des boulangeries (car Belle-Isle manquait terriblement de bois), etc7...  Mathieu et Catherine n'avaient pas loin à aller pour prendre le steamer et rejoindre Belle Isle, afin de rendre visite à la famille, assiter à un enterrement, ou comme en 1891, au mariage du fils aîné, Mathieu-Léon.

***

       Restait à découvrir le rôle que joua dans cette histoire Jean-Auguste BAMDÉ, le voisin qui contraignit Catherine à vendre aux enchères l'auberge familiale. Je pressentais une histoire de dettes ou quelque chose dans le genre. Le travail de commissionnaire de Mathieu à la fin de sa vie n'aurait-il pas été une tentative de renflouer les caisses d'une auberge déficitaire? En tout cas, deux ans après sa mort, sa veuve avait jeté l'éponge, et quitté l'auberge qu'elle n'avait visiblement pu maintenir à flot.

          La célérité et l'efficacité des AD du Morbihan a tout récemment confirmé mon hypothèse. En effet, une copie du "jugement rendu contradictoirement par le tribunal civil de Lorient le trente août 1899 " confirme que ledit BAMDé, était "créancier de la dame Veuve GALLENNE, partie en courses »...

        Ce « partie en courses » m'intrigue énormément : veut-il dire que Catherine ne s'est pas présentée au tribunal sous le peu crédible prétexte de « faire des courses » ? Assez surréaliste ! Mais quelle autre signification, alors ? Je sèche...

         Ce nouveau document, s'il conforte mon hypothèse sur la créance dûe à Jean Auguste BAMDé, soulève une nouvelle question : j'y découvre que l'auberge appartenait "en indivision" à la veuve GALLENNE (Catherie DUON, donc), et à... "la veuve LE CORRE", soit sa fille Marie Félicie (mon ancêtre), et que seule Catherine devait de l'argent à BAMDé. J'en déduis donc (à tort ou à raison) que Jacques Vincent LE CORRE, le mari de Félicie, avait dû racheter une partie de l'auberge. Il faudra un jour ou l'autre aller à Vannes me pencher sur les documents notariaux pour vérifier tout ça... La recherche en généalogie est sans fin...

 

       Quant à "A l'Arrivée du bateau  vapeur", l'auberge familiale, j'ai appris grâce encore au Nouvelliste du Morbihan, que c'était le créancier qui l'avait finalement achetée, et que sa veuve l'avait revendue en 1923.

 

***

         Les découvertes généalogiques se font généralement petit à petit : j'ai appris l'existence de Catherine DUON vers 1984, je n'ai découvert son auberge qu'en 2021, et finalement, j'ai retrouvé par surprise sa tombe cette année, en juin 2022, alors qu'en fait je cherchais sur la presqu'île de Rhuys la tombe de sa fille, mon arrière-arrière-grand-mère Marie Félicie, que je n'ai par contre pas trouvée...

        J'ignorais totalement où et quand Catherine DUON, ma dernière porteuse d'un patronyme acadien, ma Belliloise qui avait quitté l'île pour le continent, avait fini sa vie, et voilà que cela m'était offert, à l'ombre de l'église d'Arzon, sur une croix noire à l'inscription peu lisible mais sans ambiguïté : Catherine DUON est décédée chez sa fille, - qu'elle n'a donc jamais dû quitter depuis la mort de son époux Mathieu -, en 1922... pile un siècle avant que je ne découvre sa tombe, par un faux hasard...

 

Patience et longueur de temps... ;)

 

 

***

      Marie Félicie GALLEN (sosa 19) et Emma Blanche LE CORRE (sosa 9) : ces deux femmes concentrent une bonne partie de la variété géographique de ma généalogie paternelle.

         Fille de Catherine DUON à la fois Belliloise et Acadienne, mon arrière-arrière-grand-mère Marie Félicie GALLEN épouse le 20 mai 1885, à tout juste 21 ans, un marin trentenaire d'Arzon, Jacques LE CORRE. Elle me relie ainsi, par son mari, à ma branche de la presqu'île de Rhuys.

       Le couple part s'installer à Lorient l'année suivante, et cette fois, ce sera l'occasion pour leur fille, mon arrière-grand-mère Emma LE CORRE, de me relier à ma branche lorientaise, elle-même issue de deux autres branches géographiques, mais ceci sera l'objet de prochains articles...

A suivre, donc...

 

6 branches géographiques qui se rejoignent en deux générations

===

Notes :

 

  1. Maison que nous avons hélas dû vendre en 2014 quand mon père est parti en EHPAD, alors que mon fils était la 5° génération à l'avoir connue

  2. Ailleurs on l'appellerait "ferry", mais les Bellilois tiennent à l'appellation de "bateau"

  3. Un chasse-marée était un bateau rapide chargé de transporter des marchandises – et notamment les sardines, mais pas que – dans divers ports entre Nantes et Bordeaux

  4. Calcul établi sur la date fictive d'un départ en 1878

  5. Les Palantins sont les habitants de Le Palais, commune de Belle Isle

  6. C'est moi qui souligne

  7. Source : Sten Kidna : Petite Histoire de Saint-Goustan, port d'Auray – Editions des Paludiers – La Baule

     

Tag(s) : #Challenge AZ 2022, #Branche paternelle, #Ancêtres du Morbihan, #Ancêtres bellilois
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